Consommer moins et plus sain,
nouvelle tendance des Français,
les principales enseignes tentent de s'adapter.
Philippe Moati
Professeur agrégé d'économie à l'Université Paris-Diderot
Chercheur et analyste expert des mutations sociétales du capitalisme par les transformations du système productif
Co-président de l' Observatoire Société & consommation
Selon la société d'études IRI, la consommation des Français serait dans une phase d'évolution, une situation qui se révélerait des mauvais chiffres des ventes de ce 1er semestre "une baisse des volumes d'un niveau jamais atteint en cinq ans", mais également de la progression de produits de meilleurs qualité. Quelle est la réalité de cette transformation de la consommation de masse vers la "déconsommation" ?
PM: Précisons que cette « déconsommation » est circonscrite à l'univers de la grande distribution. Elle est de l’empilement de fuites hors du marché de la grande distribution. Tout d’abord, nous consommons de plus en plus de repas élaborés à partir d’aliments que nous n’achetons pas dans les magasins : la restauration, la livraison de repas à domicile qui a été boostée par les services de type Deliveroo ou Uber Eats, et plus récemment les propositions d'abonnements à la livraison de produits d'alimentaires frais pour la préparation de repas à la maison – kits recettes ou repas. Les grandes surfaces souffrent également du développement des achats dans les autres circuits : il y a le e-commerce, qui était jusqu'à présent resté discret dans l'alimentaire, mais qui commence à décoller, et le fait qu'Amazon s'y intéresse est certainement un catalyseur. Il y a aussi un certain retour des commerces de proximité, quelques fois d'ailleurs dans les mêmes enseignes que celles de la grande distribution, mais qui profite aussi aux commerces de bouche indépendants, notamment dans les grandes villes. On voit revenir des crémiers, traiteurs, cavistes, épiceries fines etc. qui incarnent, aux yeux d’une certaine catégorie de consommateurs, la convivialité, l'authenticité, un lien social avec des "vrais gens" sur des "vrais territoires". Le commerce spécialisé bio multiplie ses ouvertures, boosté par la très forte croissance du marché. Les circuits courts continuent également de se développer, notamment autour des AMAP ou des sites comme La Ruche qui dit Oui. On peut finalement évoquer aux antipodes de ces commerces qualitatifs des centres-villes le cas des déstockeurs qui ont connu une progression spectaculaire ces dernières années.
On le voit, la « déconsommation » dans les grandes surfaces, c’est la manifestation d’une remise en cause de leur business model. Cette distribution de masse doit aujourd’hui faire face à une demande beaucoup plus diverse qu’elle ne l’était hier.
Cette hétérogénéité des attentes des consommateurs qui s'illustrent au travers de ces deux extrêmes (du déstockeur au commerce de bouche indépendant) fait que les grandes surfaces, qui étaient au milieu du gué dans la consommation de masse, sont victimes de la prolifération de formules beaucoup plus segmentantes qui, chacune à sa manière, capte des clients à la recherche des produits de qualité, de praticité, de prix plus bas encore, ou de « sens ».
Qu'est-ce qu'attendent les consommateurs ? Comment comprendre cette transformation dans un contexte ou le pouvoir d'achat reste la première préoccupation des Français ?
PM: Au-delà de ce qu’il vient d’être dit sur l’hétérogénéité des demandes, il y a quelque chose qui traverse tous les segments de la clientèle : c'est le souci de manger des produits de qualité. C'est une préoccupation générale de la population, malgré les problèmes liés au pouvoir d'achat. Nos enquêtes à l’ObSoCo nous disent que 82 % des Français se déclarent attentifs aux effets de l’alimentation sur leur santé et dans les mêmes proportions ils ont le sentiment de faire plus attention à la qualité des produits alimentaires qu’ils achètent. Mais la qualité a le plus souvent un prix et même si 2 Français sur 3 affirment être disposés à payer plus cher pour accéder à des produits de qualité, nous avons 40 % des personnes interrogées qui déclarent devoir s’imposer des restrictions sur les dépenses alimentaires, ce qui passe souvent par la renonciation au désir de qualité. Pour autant, ce mouvement vers des produits de qualité est perceptible dans les faits. C'est notamment ce que l'on voit dans les chiffres d'IRI qui confirment la baisse des prix dans les grandes surfaces, une déflation qui résulte de la très sévère guerre des prix qui y a lieu depuis 2014, ce qui a donné du pouvoir d'achat aux consommateurs. Cette baisse des prix n'a pas incité à consommer plus, les volumes sont en baisse mais cela se traduit par une élévation du prix moyen des produis qui sont achetés. Cela est comme si les clients des grandes surfaces avaient profité de la baisse des étiquettes pour passer sur des produits plus chers. Ils montent en gamme. Ce que l’on a observé depuis longtemps déjà sur le marché du vin, une montée en gamme associée à « moins mais mieux », se voit aujourd’hui sur d’autres catégories de produits, notamment la viande (les poulets label rouge et bios représentent 60% du marché du poulet entier).
Du géant Carrefour et sa campagne "Act for Food" "on a tous droit au meilleur", en passant par Danone et son "One planet, One Health", le "manger mieux" semble devenir une priorité pour les acteurs du secteur. Comment les marques cherchent-elles à se positionner dans ce nouveau contexte ?
PM: Le message que les consommateurs adressent aux enseignes et aux marques est très fort et il semble qu’il ait finalement été entendu. Ce qui s'est passé sur la viande le montre bien, c'est un désaveu du traitement que l'on inflige aux animaux et qui a contribué à la baisse significative de ce marché. La chute du marché des plats préparés, qui s’est déclenchée à la suite du scandale de la viande de cheval, témoigne d’une défiance profonde à l’égard des grands acteurs de la filière alimentaire. Le régime alimentaire des Français est en train de changer, sous l’effet à la fois des préoccupations de santé et de considérations éthiques, et cela produit un déplacement des achats aussi bien sur les circuits de distribution que sur les marques. Les enseignes de la grande distribution et les grandes marques de l'agroalimentaire sont mises dans le même sac d'un système industriel désavoué par une partie croissante de la population qui considère qu’il est davantage tourné vers les objectifs de rentabilité que préoccupé de la santé des citoyens et de l'avenir de la planète.
Les signaux sont bruyants et les états-majors des grands acteurs du secteur l'ont entendu, d'autant mieux que pour la grande distribution, cela se traduit par une dégradation des résultats. Il ne s'agit plus d'une vague menace abstraite, cela est concret et cela s'incarne dans les performances financières. Ces marques se disent alors qu'il est temps de se recréer une légitimité. La distribution s'est créée sa légitimité sur le prix et l'accessibilité et il est vrai qu'ils ont eu ce rôle historique de permettre à toute la population d'accéder à la consommation. Mais aujourd'hui, cette étape est passée, la mission est accomplie. Il faut passer du « plus » au « mieux ».
Outre que la généralisation de ce discours « responsable » de la part des grands acteurs des marchés alimentaires réduit le potentiel de différenciation pour chacun, la vraie question est de savoir si les Français vont les juger crédibles dans leur approche d'une meilleure qualité. Je n'en suis pas sûr parce qu'ils partent de loin. Ces acteurs sont, aux yeux d'une minorité significative de consommateurs l'incarnation de ce que l'on ne veut plus. Je ne suis pas sûr que la grande distribution puisse récupérer la clientèle perdue mais leur enjeu est d'arrêter l'hémorragie. Et pour cette majorité des Français qui continue d'aller dans la grande distribution et qui aspirent à la qualité, ceux-là seront probablement satisfaits du sentiment d’avoir été entendus. A condition, bien sûr, que les paroles soient confirmées dans les actes.
Philippe Moati
En matière de santé publique, l’Organisation Mondiale de la Santé et les 4 MNT (mutuelles nationales territoriales) conseillent de s'attaquer directement aux quatre grandes causes majeures de maladies, la consommation de Tabac / consommation d'Alcool / consommation d'Aliments transformés et le rapport au sel et au sucre / la Sédentarité.
Les trois premières causes sont des produits industriels fabriqués, promus et diffusés par l’homme ce qui permet de parler d’épidémies industrielles.
Il n’y a pas que le comportement individuel qui est en jeu, mais aussi une responsabilité industrielle et commerciale dont la règlementation relève de l’Etat grâce à une panoplie de mesures législatives règlementaires et fiscales pour éviter ou réduire l’exposition à ces produits.
Face à de puissants lobbys financiers,
comme face à la méconnaissance,
le rôle des organes scientifiques,
de la société civile et des associations,
est essentiel pour porter le discours préventif,
en toute impartialité envers nos réflexes
de consommation conditionnée.
JPA pour ALV