SANTÉ DES ADOS :
SONT-ILS TROP GROS ?
Comment vont nos adolescents ? Plutôt bien, malgré une surcharge pondérale pour un nombre croissant d’entre eux et un temps passé devant les écrans qui pousse à la sédentarité.
L’OMS le rappelle dans ses rapports : « La principale cause de surpoids et de l’obésité de l’enfant est un déséquilibre énergétique entre les calories consommées et les calories dépensées ».
Rien de très nouveau, si ce n’est que l’augmentation des cas de surpoids chez nos enfants est aujourd’hui imputable à des facteurs en lien étroit avec les évolutions de la société. Les jeunes optent de plus en plus souvent pour de la restauration rapide et hors domicile, aux caractéristiques nutritionnelles et caloriques pas toujours très saines. On observe de surcroît une baisse de l’activité physique au profit d’autres loisirs, plus sédentaires, les écrans étant dans le viseur. Des constats que vient étayer l’étude publiée par la Direction de la recherche et des études (Dress) du ministère des Solidarités et de la Santé. Une étude réalisée à partir de 7 242 questionnaires remplis par des adolescents, élèves en classe de troisième, issus de 925 collèges.
1 - Ados en surcharge pondérale : un phénomène qui s’accentue
Erelle, Lisa, Clémence et Tom sont quatre amis âgés de 17 à 19 ans. Trois grandes ados bordelaises et un étudiant palois qui, depuis deux ans, vit seul, loin du cocon familial. Deux des trois jeunes femmes ont eu, à un moment donné, un souci de surpoids. Pour Erelle, c’est depuis la toute petite enfance qu’elle est un peu au-dessus de la courbe poids/taille du médecin traitant. Et elle s’en accommode tout en ayant une alimentation riche en légumes et fruits. Lisa a fait un peu le yo-yo jusqu’au collège où « j’ai pris pas mal de poids. Je suis allée voir une diététicienne et aujourd’hui je suis stabilisée ».
Tom a banni la viande de son assiette, plus par coût que par goût, et les quatre amis déclarent manger sandwich, hamburger ou sandwich une à deux fois par semaine. Des profils qui font écho à l’étude du ministère de la Santé : en 2017, 18 % des scolarisés en troisième étaient en surcharge pondérale (1) (contre 17 % en 2009) dont plus d’un quart, soit 5,2 % (2,8 % en 2009), étaient obèses. Comme chez nos amis, les filles sont plus sujettes à ces écarts de balance que les garçons. L’étude ne s’étend pas sur les liens directs avec l’alimentation, tandis que les agences de santé à travers les pays développés martèlent depuis quinze ans « manger cinq fruits et légumes par jour » et « manger et bouger ».
2 - Activité physique et / ou activité sédentaire
Bouger. Le mot est lâché. Tom est un accro de la natation qu’il pratique en club universitaire à raison de huit heures par semaine. Clémence danse en club 1 h 30 par semaine et trois heures en option au lycée. Erelle pratique le basket, depuis plusieurs années, en club, et court, une fois par semaine, avec Lisa. Quand ils ne bougent pas. Ils étudient et ils pianotent… sur leurs téléphones et leurs tablettes. Une moyenne de deux heures « à peine » (sic) par jour en semaine, voire trois heures « grand max », le week-end. L’estimation des quatre grands ados n’est-elle pas biaisée par l’insouciance ou la culpabilité ? Car l’étude établit que 73 % des élèves de troisième dépassent les deux heures par jour, 50 % les 3 h 30 et 10 % les six heures ! Des chiffres qui peuvent grimper jusqu’à onze heures le week-end ! Toutefois les ados continuent à faire du sport : 74 % des élèves questionnés le garantissent, avec une différenciation par sexe (67 % des filles et 81 % des garçons) et pas que…
3 - Les inégalités sociales, un facteur important
La surcharge pondérale, tout comme le temps passé sur les écrans et la pratique d’un sport notamment en clubs sont marqués socialement. « La prévalence de l’excès pondéral concerne un ado sur quatre parmi les enfants d’ouvriers et un ado sur neuf parmi les enfants des cadres », souligne la Dress. Et « durant la semaine, 81 % des enfants d’ouvriers indiquent passer quotidiennement plus de deux heures devant les écrans contre 61 % des enfants de cadres. »
Ces inégalités sociales se ressentent également dans la santé bucco-dentaire globalement en nette amélioration dans le temps, avec cependant plus de caries et moins d’appareils dentaires dans les milieux les moins favorisés. Même constat pour les problèmes de vue et le port de lunettes.
(1) La surcharge pondérale correspond à un indice de masse corporelle (IMC) (Poids en kilo/le carré de la taille en mètres) de 25 à 30. Pour les obèses, l’IMC est supérieur à 30.
Seules face à leur obésité, elles racontent
Une photographie d’Émilie qui fait très mal. Elle est à moitié allongée sur un canapé, elle pèse 134 kg. Une autre dans le téléphone d’Anne, pareil, elle pèse 160 kg. Impossible de reconnaître les jeunes femmes aujourd’hui, leurs traits étaient mangés. « Moi-même je ne me reconnais plus, ose Émilie. J’ai commencé à prendre du poids en sixième. C’était bizarre, j’étais un peu harcelée, moquée et du coup je me suis réfugiée dans le sucre. Ma tête disait stop, mais mon estomac en redemandait. Ou alors le contraire. Gâteaux, barres de chocolat, sodas, bonbons… Mes parents se bagarraient pour que j’arrête de manger, j’étais agressive. Je n’écoutais rien. » Dès la sixième, Émilie a enchaîné les régimes, elle perdait dix kilos et les reprenait. Piquait de la nourriture dans le frigo, dans les placards. « Le regard des autres m’était insupportable, alors je rejetais tout, même moi. Je jouais à la gameboy sur mon lit. Je glandais… »Plus de miroir chez Anne pour qui manger était un plaisir, un bonheur : « Je mangeais de tout, plusieurs fois, trois fois par repas dit-elle. 1,5 kg de viande, une pintade pour moi toute seule, un poulet. Je mangeais encore plus quand j’étais triste et même gaie. »
Toutes les deux ont dépassé le stade de l’obésité morbide, tout comme Charlaine, aujourd’hui mère de deux jeunes adultes qui ont failli, à l’adolescence, tomber dans le même piège. « J’étais obèse et je me suis battue pour qu’ils se nourrissent correctement. Toute ma vie a été un combat pour perdre du poids. Quand j’ai vu mes enfants commencer à prendre le même chemin, ça a été terrible. Mon dernier était adoré par la cantinière de l’école parce qu’il finissait tous les plats. Et le second rentrait à 16 heures et avalait un plat de pâtes, avant le repas du soir. Ils se faisaient inscrire aux sports, mais ne suivaient rien. Ils y allaient une fois, deux fois, puis terminé. L’effort physique bof, ils préféraient leurs jeux vidéos… »
Parce qu’elles étaient en danger de mort, Anne, Émilie et Charlaine ont été contraintes de subir une opération chirurgicale pour réduire la taille de leur estomac (sleeve, bypass). En quatre ans, Émilie a perdu 60 kg, Anne, 80, en deux ans. Une révolution dans leur vie. Elles réapprennent à manger avec frugalité « dans une assiette à dessert », précise Émilie. Sa passion des chevaux ne l’a jamais lâchée, mais elle avait renoncé à monter. Aujourd’hui, elle peut à nouveau. « J’ai l’impression de me réveiller, d’une seconde vie. Je me regarde et je me dis : ‘‘Qui t’es toi ?’’ Je me permets de rêver à une relation avec un garçon. » Anne n’a rien perdu de son plaisir de cuisiner : « Je le fais pour les autres aujourd’hui, moi je me cantonne à un peu de tout. Mais toujours très bon et puis, il y a des miroirs chez moi. Je ne crains plus de croiser mon image par hasard. »
Elles suivent des ateliers thérapeutiques à la clinique du Tondu de Bordeaux, où une psychologue, une diététicienne, un kiné les incitent à améliorer leur alimentation, leur équilibre de vie et à reprendre goût à l’activité physique. Des groupes de parole qu’elles ne ratent pas. « Ça nous aide, on apprend des choses, par exemple, lire les étiquettes des produits que l’on achète, remarque Charlaine. Décrypter le mauvais et le pernicieux. »
Obésité des jeunes :
pourquoi l'épidémie a des impacts beaucoup plus vastes que la seule question sanitaire
Le ministère de la Santé a publié les chiffres de surcharge pondérale chez les jeunes : près de 20% des adolescents seraient touchés, un chiffre en augmentation depuis 2009.
Un surpoids au sens propre et au sens symbolique
La tendance se confirme, avec cette enquête récente, les jeunes grossissent, un bon tiers d'entre-eux souffre de surpoids, voire d'obésité et cela les touche d'autant plus qu'ils font partie des classes sociales défavorisées.
BIG MAC
La mal-bouffe, les écrans, sont les premières raisons invoquées et les plus objectives, pour expliquer cette tendance qui nous rapprocherait du mouvement déjà largement opérationnel sur la jeunesse américaine. En réalité, l'alourdissement des jeunes générations est une tendance mondiale des pays les plus industrialisés.
Mais cet embonpoint n'est pas un simple constat, c'est le symptôme d'une pathologie sociale plus large et qui passe aussi par des pertes d'aptitudes physiques et intellectuelles, globalement sous forme de paresses. A cette enquête sur le surpoids, on peut accoler d'autres enquêtes menées sur les capacités sportives, qui mettent en évidence une perte de ce que les spécialistes appellent la VO2-Max, cette mesure caractérisant l'aptitude à l'effort, la cylindrée de l'individu en quelque sorte.
Constituée principalement avant l'âge de treize/quatorze ans, elle conditionne les futures capacités sportives et elle est en baisse globale. On note particulièrement la baisse de l'endurance. Egalement, les items liés à la dextérité sont en baisse, ces capacités à réaliser des choses fines avec les segments terminaux, les mains, les doigts. Pour corroborer ces données, il faut écouter les professeurs de primaire et de collège, évoquer la perte de l'effort, la médiocre qualité de l'écriture, la réticence à s'accrocher en cas d'échec, une paresse intellectuelle et physique globale donc. Mais tous ces paramètres sont très inégalement répartis dans la population et touchent principalement les catégories sociales les plus défavorisées effectivement, mais ce serait trop simple de pointer éternellement les mêmes.
Sens propre et sens symbolique
En réalité, sur le plan symbolique, le surpoids, l'obésité, sont synonymes de satiété, de corps et d'esprits comblés, si ce n'est gavés et donc, sur le plan cérébral également gavés, donc blasés, tant à ces jeunes âges, corps et esprit, marchent ensemble. Et le désir vient du manque...
On peut bien sûr incriminer les burgers de fast-foods, les pizzas, consommés en boucle, appréciés des jeunes, repas individuels ou entre copains, mais surtout repas rapides. Mais là encore, il s'agit du symptôme. A l'origine, l'abolition du temps, celui du repas traditionnel, à table, en famille, disparu au profit d'une alimentation, au coup par coup, quand l'enfant a faim et un « nourrissage » rapide, entre deux écrans, dans le pire des cas, debout devant le réfrigérateur.
Quelques commentateurs ont évoqués les écrans, très addictifs, qui poussent les jeunes à se nourrir entre deux jeux, entre deux conversations, ou même pendant le jeu. Mais on ne peut incriminer uniquement l'enfant. Le loisir numéro un des jeunes adultes est aussi le jeu vidéo et les jeunes parents ne sont pas moins intoxiqués par ces écrans que leurs enfants. Et l'enfant n'est donc pas le seul à avoir un temps d'alimentation déstructuré. Soit que les parents peinent à avoir autorité pour faire venir à table des enfants tenus par leurs électroniques respectives, soit que les parents eux-mêmes ne passent pas à table et se nourrissent comme ils nourrissent leurs enfants, au coup par coup, chacun son écran et chacun son alimentation. Et de fait, ces phénomènes de surpoids ou d'obésité concernent souvent l'ensemble de la famille.
Que les rondes sont belles...
Au chapitre des causes, toujours dans la fibre de la paresse, la réticence à cuisiner, où le manque de savoir faire, sont corroborés par le succès des émissions culinaires, qui témoigne de la recherche de quelque chose de perdu. Effort de courses, effort de cuisine, souci de diversification, sont diversement appréhendés et on passe de la famille soucieuse d'équilibre et de diversité, épluchant les étiquettes, cherchant les meilleurs produits, parce qu'elle y est sensibilisée et parce qu'elle en a le temps, à la famille désinvolte, habituée des plats cuisinés tout prêts, toujours les mêmes, ceux que l'on connaît et que l'on aime, lesquels sont le plus souvent, trop gras, trop sucrés, trop salés.
Avec entre les deux, toutes les configurations possibles, dépendant du degré de sensibilisation, de temps et de moyens des parents. Mais il ne faut pas s'y tromper, cuisiner, manger sainement et diversifié ne coûte pas plus cher que d'expédier de la mal-bouffe au quotidien, cela coûte même moins cher.
On est bien dans cette notion de paresse globale. En primaire, il m'est arrivé de multiples fois de voir des parents refuser la sortie scolaire en prétextant la difficulté ou l'incapacité à préparer un pique-nique pour leur enfant, il faut le vivre pour le croire.
Pour arranger le tout, la correction politique s'en mêle, gare à celui qui n'aimerait pas les rondes, aujourd'hui magnifiées, façon Marlène Schiappa. Ou cette enquête, voici quelques années, qui affirmait que les hommes avec un peu de « brioche » étaient plus sexy sur la plage. Tout est fait pour que le surpoids soit décomplexé et même « tendance », dès lors, pourquoi faire attention à ce qu'on mange et à sa pratique sportive ?
On pourra noter qu'il est étonnant que la mode esthétique colle au mode d'alimentation le plus rentable, un peu comme une entente cordiale entre les deux promoteurs.
Au final, ce surpoids de nos jeunes, mais aussi de leurs parents, doit nous inquiéter, il est synonyme de beaucoup d'autres problématiques sociétales, de perte de repères, de perte de relations, de perte d'asymétrie entre parents et enfants, de perte de désirs et de trajectoires personnelles dans un contexte déprimé auquel le législateur participe. L'inflation de normes, le contexte sécuritaire permanent, la peur diffuse de l'avatar, du chômage et plus largement du lendemain, fait de la société française, à chaque enquête, l'une des plus pessimistes des pays industrialisés.
Cela conduit à un autre mode de vie, chacun son écran, chacun son alimentation, en forme d'échappatoires, devant l'adversité. Ce surpoids est aussi à prendre au sens symbolique, d'une société qui en a, comme dit l'adage : plein le dos...