La déconnexion entre ville et campagne est une menace de carence culturelle pour nos sociétés en transition. Les valeurs du monde paysan ne font plus partie ni des valeurs de ceux qui aimeraient revenir à la campagne, ni même parfois de ceux qui y vivent.
La société toute entière perçoit encore le monde agricole mais ne reconnait pas le monde paysan dans son ensemble, paysans de la terre et paysans de l'eau, comme patrimoine commun d'utilité publique.
La société toute entière perçoit encore le monde agricole mais ne reconnait pas le monde paysan dans son ensemble, paysans de la terre et paysans de l'eau, comme patrimoine commun d'utilité publique.
Aujourd'hui le monde paysan est perçu plus par les encadrements liées au secteur de l'agriculture, transmetteur malgré tout d'essentialité, pour notre rapport conscient à notre alimentation et nos relations organisées dans son partage.
Les urbains, 95 % de la population française, entretiennent une image de l'agriculture soit nostalgique, soit passéiste, sans rien connaître ou presque de la technicité et du professionnalisme du monde agricole d'aujourd’hui, de l’ampleur des normes sanitaires, des obligations légales, des contrôles répétés, du nécessaire respect du droit du travail, des cahiers des charges draconiens des acheteurs… Aujourd’hui, pour avoir une exploitation agricole, il faut être bon dans tous les domaines. Mais pour l’opinion publique, l'agriculteur est un paysan, plus ou moins cul terreux, associé à la pénibilité, aux durs travaux physiques pour de maigres revenus et suspect quand il gagne sa vie.
Tout le monde s’autorise à donner des leçons d'écologie aux paysans, ce qu’on ne ferait pas dans l’automobile, l’énergie ou l’architecture par exemple.
Il y a aujourd'hui une rupture entre la vie des citadins et la vie réelle des agriculteurs. Les citadins ne savent plus réellement ce qu'est la campagne sauf à décider de quitter la ville pour y vivre, en emmenant dans leurs valises de certitudes, leur mode de vie de citadins à placarder dans ce décor si exotique.
Au début du 19ème siècle, l'activité agricole occupait la moitié de la population française, aujourd'hui il n'y a plus qu'un million d'actifs rattachés à 450 000 exploitations en France, soit moins de 2% de la population. Jusqu'à 1932, la moitié de la population habitait encore à la campagne quand aujourd'hui, 80% des Français vivent en espace urbain.
Pendant des années, on a véhiculé une forme d'idéal de la campagne, un peu dans le genre "Martine à la ferme" et lorsque la révolution silencieuse des années 60 a eu lieu dans le domaine agricole, elle n'a pas été perçue par la population continuant à entretenir l'image des petites exploitations avec quelques vaches, sans conscience de l'évolution technique.
En amont, dans le secteur de fournitures des intrants, des machines, de la construction, comme en aval, dans celui de la transformation et de la distribution, on estime que l’agriculture et l’agro-alimentaire concernent 14 % de la population active, ce qui fait de ce secteur le premier employeur privé de France, avec l’artisanat, le tout généralement cloisonné, par régions et par filières.
Les viticulteurs bordelais ne connaissent pas les éleveurs de porcs bretons et bien qu'ils soient liés par leurs évolutions sociétales et environnementales, la stigmatisation existe même au sein du monde agricole. Hors de leur domaine de compétence, les agriculteurs véhiculent les idées reçues transmises par les médias, tout comme les élites urbaines éduquées, en quête de critères de distinction, qui s'inventent une conscience vertueuse bio, locavore, sans pesticides, ... sans connaître les conséquences économiques et sanitaires de leurs postures.
Rien ne nous immunise des retours de pénuries, contaminations, nourriture chère de par la dépendance alimentaire de la France face aux nombreux risques sanitaires graves, comme les mycotoxines, ignorés des citadins bannissant le moindre traitement sans même savoir de quoi il nous protège.
Beaucoup de jeunes appelés NIMA (non issus du monde agricole) sont fascinés par le retour à la terre, synonyme de nature et de liberté. Les jeunes agriculteurs sont plus diplômés et sont attirés par "l'agriculture Autrement" et par la pluriactivité. Il y a un renouvellement profond de la profession, d’autant plus indispensable que la moitié des agriculteurs partira à la retraite dans les dix ans.
La déconnexion actuelle entre les citadins et les paysans pourrait donc s’inverser à terme, indépendamment des néoruraux, voulant vivre à la campagne parce qu’ils la trouvent belle grâce au travail des agriculteurs mais leur pourrissent la vie à peine installés, à cause du bruit, des mouches, du chant du coq, des crottins ou des bouses sur les routes, des tracteurs et des traitements, toujours perçus comme illégitimes.
Les tensions sont innombrables dans le périurbain. Les zones de non-traitement risquent de multiplier les broussailles, les friches et le découragement, et de servir de sanctuaires aux bioagresseurs des cultures.
Les PLU doivent lutter contre le mitage en cessant l’installation des maisons d'habitation au milieu des champs pour que les agriculteurs puissent travailler sereinement et que les bourgs soient habités.
Les agriculteurs sont les héritiers de la connaissance du monde paysan en perpétuelle évolution et semblent profiter d'une image valorisée renouant aujourd'hui le dialogue avec le reste de la population comme par exemple à chaque salon de l'agriculture.
L'identité même de chaque territoire dépend de ce qui est produit là plus qu'ailleurs, en qualité et savoir-faire reconnus de tous, donnant lieu à la célébration festive, porteuse de sens et de lien social, la culture locale, de par son identité à visage découvert, n'ayant alors pas besoin du masque de la mentalité pour exister.
En Médoc comme ailleurs,
et peut-être plus qu'ailleurs,
le monde paysan doit être reconnu
par son activité d’intérêt général,
comme source patrimoniale Agri-Culturelle,
afin d'être reconnue en priorité
comme premiers défenseurs d’une nature
sculptée par la main de l'homme,
apprivoisée et nourricière.
Jean-Pierre Alcouffe pour Autrement La Ville